IA & HORIZONS La Newsletter de l'Institut-EuropIA N.8 novembre 2025

par Chiara Sottocorona –
Experte en IA et Médias de l’Institut-EuropIA
Cover-story
Qui a besoin de la Super Intelligence ?
Le mythe d’une Super Intelligence - capable de dépasser les capacités humaines- qui pendant les deux dernières décennies était encore confiné dans la Silicon Vallée et alimenté par le mouvement des techno-extrémistes et transhumaniste The Singularity, est devenu le moteur de l’économie Maga (Make America Great Again). La Super Intelligence c’est le mot clé pour comprendre ce qui se passe sur la scène mondiale.
Des investissements astronomiques dans l’IA avec le soutien du président Trump et de son entourage : 400 milliards de dollars en 2025. Encore 571 milliards de dollars en 2026, selon les estimations de la Banque UBS, et une progression de au moins 25 pour cent dans les années suivantes. Une croissance dopée par l’IA. « L’optimisme des marché financiers semble ignorer les risques de crise qu’ils accumulent » alerte Patrick Artus, directeur de la recherche de Naitixis et membre du Cercle des Économistes. La presse et les consultants financiers ne cessent pas d’annoncer le possible éclatement d’une « bulle de l’IA » face à cette course débridée de l’autre côté de l’Atlantique. Pour au moins trois raisons.
L’AGI ( Artificial General Intelligence), capable de défier l’humanité ou dans un premier temps de remplacer le travail humain, reste l’objectif déclaré d’Open AI, le principal centre d’attraction des investissements. Open AI est une entreprise non cotée en bourse et encore opaque même dans sa structure.

Pourtant elle est désormais le centre d’une véritable toile d’araignée où convergent à coup d’alliances, des partenariats et des participations les principales entreprises de la Tech américaine : le numéro un de logiciels Microsoft, les géants du cloud Oracle e CoreWeave, le champion de microprocesseurs Nvidia. La start-up de Sam Altman, qui a chevauché la vague de l’IA générative et qui compte une valorisation estimée à plus de 500 milliards de dollars, à la fin de cette année n’aura en réalité fait aucun profit, elle n’aura, selon les estimations, que des revenus bien inférieurs à 20 milliards de dollars, et elle a déjà enregistré 19 milliards de pertes aux trois premiers trimestres de 2025.
Pourtant, pour alimenter sa croissance en capacité de calcul, Open AI a déjà annoncé des engagements pour plus de 1000 milliards de dollars pour s’assurer 23 GW dans les 5 prochaines années, avec les datacenters d’Oracle et le cloud de CoreWeave. De la part de Nvidia elle a obtenu une participation actionnaire qui représente un investissement jusqu’à 100 milliards de dollars sur les prochaines années et qui lui assurera les microprocesseurs de dernière génération pour faire tourner ses modèles d’IA. Mais pourra-t-elle maintenir ses promesses ? N’oublions pas que si aujourd’hui Open AI se trouve encore en position dominante, elle doit faire face à une forte compétition soit interne aux Etats-Unis (Meta, Google, Anthropic), soit externe (DeepSeek, Manus et les autres start-up chinoises émergentes). Des alternatives peuvent émerger. A mi-novembre Microsoft par exemple a signé un nouveau partenariat stratégique avec Anthropic pour l’offre sur son cloud Azure et a annoncé aussi un investissement de 10 milliards sur la start-up rivale d’Open AI.
Et comme l’a expliqué Luc Julia, directeur de la recherche scientifique chez Renault à une conférence IADate coorganisée par l’Institut EuropIA à Mandelieu le 10 octobre : si les grandes LLM ne démontreront pas d’avoir un avenir soutenable, ce seront des milliers de petits modèles ultraspécialisés, très peu consommateurs d'énergie et « qui font des choses utiles », qui prendront le relais.
Nous sommes à un tournant non seulement en matière d'investissements, mais aussi en matière de services : l'intelligence artificielle évolue d'une vision basée sur les LLM, les grands modèles de langage pour l’IA générative, vers une IA Agentique, plus spécialisé, mais qui analyse, planifie et agit. Et qui sera orientée prochainement vers l'IA « physique » dans plusieurs secteurs, tels que la robotique, les télécommunications, les voitures autonomes, la simulation et les jumeaux numériques. « L'IA en tant qu'industrie » explique Lorenzo Montagna, consultant stratégique en technologies émergents et auteur de quatre livres sur l’innovation. « On passe d'une approche centrée sur les logiciels et les modèles à une vision holistique qui inclut l'infrastructure, le matériel, les usines et la production : NVIDIA se présente déjà comme un fournisseur d'IA « industrielle », c'est-à-dire à l'échelle industrielle, et pas seulement comme un partenaire de services pour l'industrie. Le concept devient celui des usines d'IA ». C’est un rôle central que l’IA assume dans l’économie et la géopolitique de Trump, pour affirmer la leadership technologique américain.
Toutefois, comme l’évoque l’économiste Aurélien Duthoit sur Les Échos, le scénario de surchauffe n’exclut pas le déraillement : « L'investissement dans les data centers est à la rencontre de deux mondes, celui du numérique qui croît d'une manière exponentielle et un univers physique, nécessairement limité », explique l'économiste. « Les contraintes sont réelles : les data centers utilisent de l'électricité, de l'eau ; il faut mettre en place des turbines à gaz dans les centrales ou encore moderniser les infrastructures électriques. » Et s’assurer aussi tous les matériaux nécessaires à un tel développement industriel, des terre rares, des matières premières…C’est un enjeu qui dépasse largement la simple production de logiciels.
L’autre doute qui persiste concerne la demande réelle de systèmes d’IA souvent surestimé. Si l’IA générative a eu jusqu’ici une progression fulgurante, sous l’effet de la nouveauté et de la curiosité, l’adoption de l’IA Agentique en est seulement à ses débuts. Rien n’assure au futur une vitesse d’adoption similaire à celle de Chat-GPT. D’autant plus que le MIT a publié un’ étude qui démontre que 95% de projets d’accroissement de la productivité avec l’IA n’ont pas donné des résultats concluants. Une autre étude que McKinsey qui vient de sortir indique que seulement les très grandes entreprises ont commencé vraiment à chercher d’intégrer les agents d’IA dans le flux d’organisations du travail. Il est encore difficile évaluer le réel impact qu’il génèrera et surtout les réactions des employés qui se sentent menacés par leur probable substitution des algorithmes. Est-que notre société est vraiment prête à assumer la révolution d’une IA qui aura le but de dépasser les capacités humaines ? Gilles Babinet dans un article intitulé « IA bulle ou pas bulle ? » cite le florilège des récentes déclarations des patrons de Big Tech : « « Il va falloir se faire à un monde où le chômage va massivement revenir et cela très rapidement » (Dario Amodei, CEO d'Anthropic) ; « Aucune technologie ne va bouleverser l'économie aussi rapidement que l'IA va le faire dans les mois et années à venir » (Mark Zuckerberg, CEO de Meta) ; « Les métiers de codeurs vont très vite connaître le chômage de masse » (Sundar Pichai, CEO de Google). Déclarations de plus accompagnées de dizaines des milliers de licenciements dans les mêmes entreprises de la Tech qui se positionnent à la pointe de l’IA : Meta, Microsoft, Amazon, ou encore HP qui le 25 novembre dans un communiqué de presse de ce groupe informatique mondial a annoncé la suppression de 4.000 à 6.000 postes dans les trois prochaines années afin de « faire progresser la satisfaction des clients, l’innovation des produits et la productivité par le biais de l’adoption et l’activation de l’intelligence artificielle ». Meta pour la même raison avait supprimé 3.600 emplois au début de l’année. En mai Microsoft a licencié 6.000 développeurs software. Selon Bloomberg l’IA pourrait remplacer 200 mille emplois au sein de grands banques mondiales dans les trois prochaines années
La bulle qui risque d’arriver avec une vague pareille de suppression d’emplois pourrait être avant tout une explosion sociale. Mais il reste aussi le risque que trop de centres de données aient été construits : une offre gigantesque, très coûteuse et énergivore face à une demande moins forte qu'espérée des utilisateurs. Dans ce cas ce serait aussi la bulle financière qui éclaterait.
La Super Intelligence au cœur du divorce entre Yann LeCun et Zuckerberg
Le 19 novembre avec un message publié sur son compte Facebook, Yann Le Cun a officialisé son départ de Meta, pour créer « une nouvelle entreprise consacrée au développent des modèles d’IA capables de comprendre le monde physique ».
Pionnier du deep learning et des architectures évolutives des réseaux neuronaux, LeCun était arrivé en 2013 à la tête des laboratoires FAIR (Facebook AI Recherche), a New York et à Paris. il a dirigé pendant douze ans les travaux sur l’intelligence artificielle de la société de Mark Zuckerberg comme Chief AI Scientist. En 2018 il avait reçu le Prix Turing (l’équivalent du Nobel en informatique) avec Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio avec lesquels il a travaillé en Canada dans la première décennie des année 2000. Les avancées mises au point par ce trio ont ouvert la route vers les nouveaux modèles et usages d’IA.
LeCun avait orienté la recherche AI de Meta vers l’open-source avec le modèle multimodal Llama, arrivé cette année à sa 4ème version.
Mais en juin dernier Zuckerberg a déboursé 14,3 milliards pour s’assurer le 49% de la start-up Scale AI et a placé son fondateur, Alexandre Wang, a la tête d’une nouvelle entité de Meta : The SuperIntelligence Lab. Et dans les mois suivants le patron de Meta a recruté à prix d’or (100 millions de dollars à tête) des jeunes chercheurs tel que Shengjia Zhao (qui avait participait à la création de Chat-GPT) placé au poste de directeur scientifique, plus une dizaine d’autres provenant d’Open AI. Ou encore Matt Deitke, 24 ans, chercheur en IA à Seattle à l’Allen Institute, auquel Meta a offert 250 millions sur quatre ans. Et aussi Ruoming Pang, qui était chez Apple, responsable d’un groupe d’une centaine de chercheurs.
LeCun, déjà une star reconnue de l’AI, a été mis, avec toutes ces nouvelles recrues, sous la direction de Alexandre Wang. Le but déclaré est de faire avancer Meta dans la course effrénée de Big Tech vers la Super Intelligence. LeCun n’y croyait pas du tout. Dans un célèbre interview donné à Steven Levy pour la revue Wired il avait affirmé « I don’t like the term AGI, because there is no such thing as general intelligence. There’s no question that machines will eventually be smarter than human. We don’t know how long it’s going to take, -it could be years, it could be centuries ».
Pour découvrir quel sera la nouvelle start-up fondé et dirigé par LeCun, le renconter et écouter son approche à la recherche de modèles d’IA, ne manquez pas le prochain WAICF à Cannes au quel interviendra :





